Tenté par l’e-sport

Portrait de Z. Olabi  (Univ. Lille) − zyk0o

Étudiant en data science, Zakariya Olabi a remporté cette année un prix important dans une compétition d’e-sport (jeux vidéo).

26 000 dollars : la somme en a estomaqué plus d’un dans l’entourage de Zakariya Olabi. C’est pourtant bien ce qu’a gagné le jeune étudiant de 22 ans en prenant la deuxième place des championnats du monde du jeu TeamFight Tactics (TFT) le 9 avril 2021. Des montants qui sont encore pour beaucoup une source d’étonnement, hors des adeptes des jeux vidéo. « La finale à laquelle j’ai participé a réuni plus de 250 000 personnes sur [le réseau de vidéos en direct] Twitch, et sans doute encore bien plus en comptant les retransmissions en Asie », explique Zakariya Olabi. Une visibilité non négligeable qui n’a pas échappé depuis longtemps à de nombreux sponsors. Selon plusieurs études, les dépenses en publicité et sponsoring dans l’e-sport approchent le milliard de dollars et continuent leur progression rapide.

Et pourtant, le jeu dans lequel excelle Zakariya Olabi reste relativement confidentiel, comparé à la star du genre, League of Legends. Le premier emprunte d’ailleurs au second, immensément connu et lancé en 2009, son univers culturel et notamment ses personnages, dotés de diverses particularités. Mais à part ça, les deux jeux n’ont rien à voir. Un peu comme un jeu d’échec qui utiliserait comme figurines les avantcentres, goal et autres défenseurs du sportroi qu’est le football. « TeamFight Tactics est beaucoup plus stratégique, et c’est aussi un jeu solo, une suite de duels auxquels il faut survivre le plus longtemps possible. »

Au départ, le jeune étudiant ne montrait pas de disposition particulière pour les jeux vidéo. « Ça fait longtemps que je joue, sans faire beaucoup d’étincelles. Il y a deux ans TFT a été lancé, et j’y ai joué de temps en temps. Mais ce n’est qu’en septembre 2020 que j’ai commencé à me rendre compte qu’il me réussissait plutôt bien. » Comme dans beaucoup de jeux, l’éditeur prévoit un mode compétition où on se mesure aux autres joueurs dans le reste du monde. En engrangeant des points, on monte dans le classement, et on affronte des joueurs d’un niveau supérieur, un peu comme dans les échecs. C’est ainsi que de fil en aiguille, Zakariya Olabi se hasarde dans quelques tournois et continue de gravir peu à peu les marches de cet e-sport.

Peu à peu, son emploi du temps commence à requérir un peu d’organisation. « C’est un très bon étudiant, mais on avait l’impression qu’il en gardait un peu “sous la pédale”, raconte Nicolas Wicker, responsable du master Ingénierie, statistiques et numérique - Data sciences où Zakariya est inscrit. C’est comme ça qu’on a appris qu’il avait un emploi du temps un peu chargé avec l’e-sport. » Car il ne s’agit pas seulement pour lui de s’entraîner en jouant − « si on ne fait que ça, on a tendance à répéter toujours les mêmes erreurs », explique Zakariya − mais surtout d’apprendre en analysant les parties des autres (en regardant leurs « streams », disponibles en ligne). En semaine, après les cours et les devoirs, il consacre environ deux heures par jour au jeu, qui peuvent devenir facilement cinq ou six heures le week-end, en fonction de la charge de travail de son master.

Les championnats du monde

En décembre 2020, l’éditeur du jeu annonce l’organisation de championnats du monde. Zakariya est tiraillé. Il est tenté de participer aux qualifications, qui doivent se dérouler en février. Mais il va lui être quasi impossible de s’entraîner jusque-là, notamment car il lui faut d’abord réussir ses examens. Puis en janvier, c’est chose faite et il se décide. Mais il lui reste alors un mois sans cours, consacré à résoudre deux gros problèmes de statistiques en petits groupes. Coup de chance, ses camarades sont compréhensifs et le groupe fonctionne bien, cravachant ensemble pour finir avant le début des qualifications.

La première partie de celles-ci se passe bien : lui qui se félicitait d’être arrivé parmi les meilleurs français, change de statut en parvenant dans les 64 meilleurs européens. Peu à peu, à coup de départs diesel et de folles remontées, les portes de la qualification pour les championnats du monde s’ouvrent. Ce sera fait à la fin du mois : cinquième sur six européens, il est qualifié !

Invité-surprise, il aborde les championnats sans pression. En finale, il échoue d’un cheveu dans la conquête du titre, laissant la couronne au Sud-Coréen 8ljaywalking, mais suscitant beaucoup d’admiration sur son parcours étonnant, et un accueil chaleureux des autres joueurs français. « Il y a vraiment une bonne entente entre nous, on se parle souvent. »

« Zakariya ! » Vice-champion du monde ou pas, pas question d’échapper aux tâches ménagères. Ce qui n’empêche pas sa famille, même si elle a du mal à comprendre son jeu, de beaucoup l’encourager.

Féru de stats depuis toujours, Zakariya vient d’effectuer son stage de 2e année au centre d’études et de recherche en informatique médicale (Cérim) du CHU de Lille. « On a travaillé à prédire si des personnes âgées admises à l’hôpital risquent d’y revenir, à partir de données comme leur âge, alimentation, poids, etc. On utilise pour cela des modèles statistiques dits “à classes latentes”. »

Le futur ? Il se voit bien travailler dans l’industrie pharmaceutique. Mais avant de faire le grand saut, il est tenté par passer quelques mois à essayer de percer dans l’e-sport, pour − qui sait ? − rejoindre une structure professionnelle, à l’image d’un autre nordiste et ancien étudiant à la trajectoire fulgurante, Adam Maanane, devenu l’un des espoirs du jeu League of Legends. Pour ça, il y a un passage obligé : se faire connaître en diffusant ses parties en ligne. Il devrait lancer sa chaîne à l’automne.