La conquête de la Terre par les plantes

(c) Borja Cascales

Pour comprendre comment la Terre d’il y a 500 millions d’années, faite de roches et d’eau, s’est mise à verdir, l’équipe du paléontologue Borja Cascales Miñana est en train de lancer un grand inventaire de tous les fossiles disponibles.

C’est probablement à partir d’algues vertes que les premières plantes sont apparues, colonisant les terres émergées. En un clin d’œil à l’échelle des temps géologiques, elles ont développé tout un ensemble d’innovations leur permettant de survivre à l’air libre, sur des sols secs et de croître vers le ciel. Une conquête qui a ouvert un nouveau cycle pour la Terre, faisant chuter la concentration de CO2 dans l’air ou facilitant le réchauffement des continents par le soleil. « La période entre les premières plantes bien démontrées jusqu’aux forêts bien établies, de -420 à -360 millions d’années environ, est vraiment cruciale. » souligne Borja Cascales Miñana, du laboratoire Évolution, écologie et paléontologie (ÉvoÉco-Paléo[1]) qui coordonne un projet sur le sujet, Earthgreen[2].

Pour retracer l’histoire des premières plantes, les paléontologues doivent reconstituer leur arbre généalogique, en comparant les fossiles. Mais « ses principales ramifications ont été conçues il y a une vingtaine d’années à partir d’une trentaine d’espèces, raconte Borja Cascales Miñana. Le problème, c’est qu’il y a eu énormément de découvertes depuis, notamment en Chine, et qu’elles n’ont pas du tout été intégrées. » Potentiellement, des centaines de taxons attendent ainsi d’être ajoutés à l’arbre généalogique, faute, parfois, des compétences nécessaires dans cette petite communauté scientifique.

L’idée du projet Earthgreen est de créer la base de données la plus complète possible des premières plantes terrestres, en regroupant les bases existantes, incomplètes, et en les enrichissant. « Nous avons commencé à revoir toutes les publications anciennes, qui ne sont souvent citées qu’indirectement dans la littérature scientifique, parfois en allant sur place voir les collections et discuter avec les collègues. »

Le projet sera aussi l’occasion d’essayer de trancher des points épineux. Comme de réviser les modèles hydrauliques un peu frustes utilisés pour évaluer l’efficacité avec laquelle les premières plantes acheminaient l’eau du sol jusqu’à leurs tiges. Ils permettront peut-être de reconsidérer des résultats surprenants, qui suggèrent que certaines plantes anciennes seraient plus efficaces que leurs descendantes actuelles, malgré des centaines de millions d’années d’évolution…

Une histoire des innovations végétales

L’histoire des premières plantes est en effet aussi celle de ces différentes innovations qui ont fait le succès de telle ou telle famille, en partant de petites plantes de milieu humide, comme les mousses, pour aboutir au règne presque sans partage des plantes à graines et à fleur aujourd’hui. L’un des objectifs du projet est donc de décrire comment a évolué la diversité des premières plantes, en la corrélant avec les changements dans leur environnement : climat, CO2, oxygène, ozone, grandes extinctions d’espèces, etc.

Le consensus scientifique aujourd’hui veut que la diversité des plantes croisse globalement pendant la période (-420 à -360 millions d’années), hormis quelques pics et creux. Le problème est que la représentation qu’en donnent les collections de fossiles est biaisée.

« Les fossiles viennent surtout d’Europe, d’Amérique du Nord ou de Chine, mais très peu d’Amérique du Sud, et encore moins d’Afrique, explique le chercheur. Sans compter les gisements plus accessibles que les autres, ou ceux que les paléontologues préfèrent fouiller car les fossiles y sont beaux ! » Autre biais, la faible préservation des plantes situées au bord de la mer. Ou encore le fait que des parties d’une même plante, découvertes séparément, conduisent parfois à créer des espèces différentes, ce qui ne facilite pas vraiment la classification…

« Nous sommes en train de corriger de ces biais la courbe de l’évolution de la diversité des premières plantes, indique Borja Cascales Miñana. Nos résultats ne remettent pas en cause l’existence des pics et des creux, mais en revanche certaines fluctuations de la diversité semblent plus apparentes que réelles. »

Des changements qu’il va falloir comprendre et intégrer dans une nouvelle histoire du verdissement de la Terre.


[1] (Univ. Lille / CNRS)

[2] financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR)