Pierre Mathiot est directeur de Sciences Po Lille, l’un des établissements impliqués dans la nouvelle chaire pour les transitions métropolitaines, Métroforum.[1]
Pourquoi lancer cette chaire ?
Le monde change, et il change souvent beaucoup plus vite que ne nous le pensons. On en prend conscience par de petits signes. L’érosion de la voiture en centre-ville à Lille, par exemple, où les stations-service ont pratiquement disparu. Le changement des types de magasins, ou encore la livraison : qui aurait cru il y a seulement cinq ans, que « l’uberisation » aurait pris une telle place dans nos vies ? Tout cela, on a besoin de le réfléchir, en mettant des collectivités, des économistes, des urbanistes, des ingénieurs et bien d’autres autour de la table. La chaire Métroforum, c’est ça : travailler de façon pluridisciplinaire pour regarder finement le territoire de la métropole, qui est extrêmement hétérogène, dans toutes ses dimensions − économiques, sociales, géographiques, urbaines, etc. Pas seulement pour produire des connaissances et innover, mais aussi pour former les futurs professionnels à une pluralité d’approches et les confronter à des situations réelles, afin de faire bouger les choses.
Qu’est-ce que la métropolisation ?
La métropolisation est un processus qui existe partout dans le monde, et en particulier en France, depuis quelques décennies. C’est un processus de concentration de l’activité et des emplois sur de très grands pôles urbains, qui monopolisent donc la richesse. Les métropoles surconsomment les ressources du territoire environnant, avec des impacts variés.
Par exemple, une partie de plus en plus grande de la population des Hauts-de-France est contrainte de travailler dans la métropole lilloise, mais peut difficilement se permettre d’y résider. Cela génère des flux de déplacements qui impactent bien plus loin que le territoire de la métropole. Une de nos problématiques est de comprendre comment rendre ce développement soutenable − en prenant en compte les besoins en infrastructures pour la logistique par exemple, mais aussi les coûts induits par l’utilisation de la voiture individuelle et les conditions à réunir pour passer effectivement à des mobilités adaptées aux enjeux climatiques.
Quelles autres conséquences allez-vous explorer ?
Par exemple, comment nourrir une métropole en expansion. Dans la métropole, il existe une partie agricole, sur laquelle il est possible de s’appuyer pour envisager des circuits courts. Mais elle subit une pression immobilière très forte. On se retrouve alors parfois face à des injonctions contradictoires : ne pas construire à la campagne car cela se ferait au détriment des terres agricoles, mais refuser de construire des immeubles en hauteur. Nous devons aussi nous poser la question des milliers d’hectares pollués ou difficilement reconvertibles, héritage de plus d’un siècle d’activités industrielles, avec le regard, notamment, de nos collègues spécialistes de la résilience des écosystèmes (plantes dépolluantes, etc.).
Une autre question est la gestion de l’eau. La métropole lilloise consomme des nappes phréatiques qui ne sont pas sur son territoire. Elle puise dans une large nappe située dans le Pas-de-Calais et en Picardie, mais aussi une autre partagée avec la Belgique. Avec le changement climatique, la tension sur les ressources hydrographiques va demander de se pencher sur la régulation de ces ressources et sur le type de gouvernance transfrontalière qu’on peut imaginer. Toutes ces questions ont de fortes résonances politiques.
L’hétérogénéité de la métropole lilloise, par exemple, se reflète très fortement dans sa géographie électorale.
Pour préparer les transitions dans les métropoles, il faut aussi tenir compte de leur géographie politique ?
Oui. L’hétérogénéité de la métropole lilloise, par exemple, se reflète très fortement dans sa géographie électorale. Par exemple, les besoins des territoires à la fois très urbains et défavorisés (Lille Sud, Moulins, Fives) sont très mal représentés politiquement, car l’abstention y est très forte. Ils le sont mieux dans les territoires ruraux, à l’inverse, où la participation est meilleure (dans un petit village, difficile de cacher que vous ne votez pas).
Quant aux territoires périurbains ou semi-ruraux, leurs besoins s’incarnent parfois dans le vote pour le Rassemblement national. C’est la France qui pour avoir accès à la propriété, est contrainte à des déplacements domicile-travail importants. Cela recoupe en partie la sociologie des premiers gilets jaunes. A contrario, le vote écologiste est souvent très urbain. À Lille, en simplifiant à l’extrême, ce serait des « bobos non bourgeois » : des personnes qui ont un capital social et culturel, mais pas forcément économique (enseignants, travailleurs culturels, etc.).
Alors comment doivent se prendre les décisions ?
Il y a un outil que je trouve passionnant à étudier, c’est la démocratie participative. Il existe des initiatives un peu partout en France, mais le contexte dans le Nord est particulièrement intéressant avec une tradition assez ancienne sur ce thème. C’est Mons-en-Barœul en périphérie de Lille qui a été la première ville en France à expérimenter le vote des étrangers à la fin des années 1970. C’est aussi à Lille qu’une mobilisation citoyenne a fait échouer le projet d’agrandissement du stade du LOSC en 2004-2006 qui menaçait la Citadelle Vauban et son espace naturel.
Aujourd’hui, les municipalités utilisent souvent des budgets participatifs et des conseils de quartier. Pour leurs détracteurs, les premiers sont souvent vus comme des gadgets. Et les seconds comme des assemblées peu représentatives et verrouillées par les mairies qui en contrôlent l’ordre du jour. Je crois cependant qu’il y a beaucoup à explorer sur ce sujet : quelle pourrait être la composition de tels conseils, comment les articuler avec les instances municipales, comment rendre transparent et clair le processus de sélection des propositions, et leur éventuel enrichissement par l’expertise publique (contraintes réglementaires, faisabilité budgétaire, etc.) ?
Elle associe plusieurs composantes de l’Université de Lille − les facultés des sciences économiques, sociales et des territoires (Fasest) et des sciences juridiques, politiques et sociales (FSJPS), Polytech Lille −, l’école nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille (ENSAPL) et Sciences Po Lille.
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