L’historienne Isabelle Paresys coordonne le projet de reconstitution numérique d’une rencontre franco-anglaise hors du commun, emblématique des fastes de la Renaissance.
Qu’est-ce que le Camp du Drap d’or ?
Il s’agit d’une rencontre entre François Iᵉʳ et Henri VIII, et leurs cours respectives, soit au total 6 000 personnes. Pendant deux semaines au mois de juin 1520, elle va être l’occasion d’un étalage de luxe inouï, qui marque durablement la mémoire des contemporains dès la Renaissance. La vie de cour est entièrement déplacée, hors des palais, pour se faire admirer, à la frontière entre les deux royaumes. La rencontre se tient en effet en bordure d’une enclave autour de Calais, devenue anglaise lors de la guerre de Cent ans.
Les deux souverains y édifient chacun un complexe de tentes luxueuses, reliées par des galeries couvertes, sortes de mini-palais, avec leurs appartements. Henri VIII fait dresser un grand édifice éphémère, le « Palais de cristal », fait de toiles peintes en trompe-l’œil sur un soubassement en briques, et percé de grandes verrières. C’est un luxe assez extravagant à une époque où la lumière est rare dans les intérieurs, le verre restant coûteux. En face, à huit kilomètres, le camp français miroite sous le soleil de juin, et se voit de loin. Les tentes royales et notamment celle de François Iᵉʳ, un immense chapiteau, sont en effet recouvertes d’étoffes rares et précieuses venues d’Italie du nord, les fameux draps d’or. Elles étaient richement décorées (pommes d’or, grande statue de Saint-Michel, etc.)
Pourquoi une telle débauche de luxe ?
Il s’agit pour les deux rois de manifester leur puissance, en affichant leur magnificence. À l’époque, l’Europe du Nord-Ouest connaît la rivalité de trois personnages : Henri VIII, 29 ans, ambitieux souverain de l’Angleterre qui a un pied sur le continent (Calais), François Iᵉʳ, 25 ans, avide de gloire et à la tête d’un royaume peuplé, et Charles Quint, 20 ans, couronné empereur un an plus tôt, qui règne notamment sur les anciens Pays-Bas (Nord de la France, Belgique, Pays-Bas actuels), l’Espagne et l’Allemagne. Les deux premiers, après plusieurs campagnes militaires coûteuses, ont signé la paix à Londres deux ans plus tôt. En 1520, c’est leur alliance qu’il s’agit de célébrer, en manifestant au reste de l’Europe qu’elle doit durer. Mais la fin des hostilités est loin d’éteindre le climat de rivalité entre les deux monarchies − sans doute attisé par la personnalité des deux rois, jeunes et ambitieux − qui se poursuit donc sur d’autres terrains.
Comment s’est déroulée la rencontre ?
C’est une véritable fête, pendant deux semaines ! Les cours se reçoivent, banquètent, dansent et chantent ensemble pendant que les diplomates parlementent. L’un des loisirs principaux est le tournoi. Les souverains ne devaient pas jouter l’un contre l’autre, mais selon les mémoires d’un gentilhomme français, on n’aurait pas su empêcher qu’à un moment donné, Henri VIII ne défie à la lutte le roi de France. Bien que grand pour l’époque, le souverain anglais aurait été mis à terre par le colosse de presque deux mètres qu’était François Iᵉʳ. Ce que certains historiens interpréteront par la suite comme un terrible impair, source d’un retournement d’alliances moins d’un mois plus tard, le roi anglais signant un accord avec Charles Quint. En réalité, d’autres considérations diplomatiques sont vraisemblablement entrées en jeu.
Combien de temps a duré la préparation ?
Plusieurs mois de part et d’autre de la Manche. Tisserands, tentiers, couturiers, forgerons, peintres, charpentiers, marins pour hisser les tentes, etc. : de nombreux corps de métiers y contribuent. Pendant la rencontre, l’intendance est considérable (elle aurait inclus par exemple un four à pain géant). Ce qui n’implique pas un gaspillage. Selon les habitudes de l’époque, tout ce qui pouvait être récupéré à l’issue de la rencontre l’a été.
Comment allez-vous procéder pour reconstituer la rencontre ?
La documentation se base surtout sur des textes, et quelques images. L’archéologie ne nous sera probablement d’aucun secours, l’événement étant trop éphémère pour laisser une trace durable dans le sol, largement remanié par des siècles de labours. En outre, la localisation précise des camps n’est pas connue. Nous pensons qu’ils se situaient aux pieds des murailles de deux villes frontalières, à l’abri desquelles se réfugiaient les deux souverains la nuit.
Comme images, nous disposons essentiellement de deux sources, toutes anglaises : un tableau, peint environ vingt-cinq ans après l’événement, et une série de gouaches qui représentent les tentes anglaises. Nous les confrontons avec nos sources écrites, et c’est là que les problèmes commencent ! Pourquoi la tente de François Iᵉʳ n’est représentée qu’avec une pointe, alors que nous avons deux mâts dans l’inventaire ? Comment représenter les draps d’or, que les textes décrivent sans motifs alors que ceux encore conservés de cette époque en ont ? Dans l’idéal, nous aimerions que la reconstitution témoigne de ces interrogations et des choix inévitables que nous aurons à faire.
L’idée est de la mettre à disposition des sites historiques, des musées, des documentaristes pour qu’ils proposent des visites immersives via différents dispositifs (casques de réalité virtuelle, tablettes, etc.). Des chercheurs en informatique de l’image mènent actuellement des recherches sur le rendu des draps d’or et d’argent et sur le jeu des textiles avec la lumière, mais aussi sur les propriétés optiques du verre de cette époque, très différent de nos vitres modernes. Nous devrions pouvoir proposer une première étape de la reconstitution l’année prochaine, pour les 500 ans de la rencontre.
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