Se nourrir ou se vêtir : l’industrialisation de nos besoins de base a longtemps laissé de côté la question du recyclage. Mais aujourd’hui, la recherche aide les industriels à trouver des solutions.
Il y a un peu moins d’un demi-siècle, l’arrivée dans les campagnes de machines agricoles capables de produire des balles de paille rondes plutôt que rectangulaires, est une révolution. Plus faciles à manipuler par le tracteur, elles sont aussi bien plus denses. Une compacité qui se paye d’un léger détail : les balles sont emballées dans un mince filet, à peine visible. 110 petits grammes de plastique, qui font aujourd’hui chaque année… 120 000 tonnes envoyées pour être brûlées, faute de procédé pour les recycler. « Le recyclage des filets n’a pas du tout été pensé à l’époque, explique Marcela Moisson, directrice de l’entreprise RecyOuest, notamment parce que leur fabrication est à cheval sur deux industries, le textile et le plastique. »
Comment recycler ce qui n’a pas été prévu pour ? La solution à ces problèmes passe souvent par pousser la porte d’un laboratoire. C’est ce que fait Marcela Moisson en 2014, peu de temps après avoir créé son entreprise. « Passer par des prestataires privés est souvent long et très coûteux, explique Marcela Moisson. Un laboratoire public me garantissait l’emploi d’une démarche scientifique pour fiabiliser ma solution. »
Parce que le laboratoire qu’elle connaît près de chez elle, en Normandie, est alors en pleine restructuration, elle s’adresse à l’unité Matériaux et transformations (Umet[1]), à Lille. Les enseignantes-chercheuses Mathilde Casseta et Sophie Duquesne la réorientent sur le choix de sa technique. Une nouvelle collaboration commence…
Les études permettent d’abord de savoir si le jeu en vaut la chandelle. « Nous avons analysé la qualité du plastique à ses différentes étapes (neuf, usagé, etc.) pour savoir quelle élasticité il conservait, s’il pouvait toujours être mis en forme, s’il était contaminé… » raconte Marcela Moisson. Répétées plusieurs fois, les mesures rendent leur verdict : « On a compris qu’avec un procédé chimique, on pouvait redonner au plastique usagé ses qualités de départ. »
Après ces années de recherche, l’entreprise est passée à la phase d’industrialisation : elle a trouvé ses financements début 2021, installé son usine en mai et achète ses machines. « Notre innovation est notamment de combiner des machines issues à la fois du textile et la plasturgie, et de ne pas utiliser d’eau pour le nettoyage, ce qui a souvent un coût rédhibitoire dans le recyclage. » La collaboration avec l’Umet va désormais se poursuivre, pour vérifier la qualité du recyclage à l’étape industrielle.
De l’utilité des graines de betterave
Outre la question des emballages, il y aussi celle du gaspillage des productions agricoles en elles-mêmes. L’industrie sucrière par exemple, consomme énormément de graines de betterave.
La production des semenciers est astronomique : des dizaines de milliers de tonnes, soit des centaines de milliards de graines par an. Mais sur ce total, 70 % n’arrivent jamais chez les agriculteurs. Non conformes, comportant deux germes, etc. elles partent en fumée dans des incinérateurs. Un gâchis colossal. « Nos recherches ont montré que nous pouvions extraire de ces graines des antioxydants naturels. » explique Peggy Vauchel, du laboratoire BioÉcoAgro[2]. Or, ces substances intéressent de nombreux secteurs : les industries alimentaires et cosmétiques, pour éviter que leurs produits ne s’abîment, les entreprises de pharmacie et parapharmacie qui en recherchent les bienfaits pour la santé, etc.
Encore faut-il que le procédé pour les extraire ne soit pas trop énergivore ni polluant. C’est souvent là que le bât blesse dans l’extraction d’ingrédients naturels. « C’est pourquoi nous utilisons des micro-ondes ou des ultrasons qui permettent d’extraire les antioxydants avec des solvants doux (eau, ou mélange eau-éthanol…) tout en conservant de bons rendements. » précise le collègue de Peggy Vauchel, Krasimir Dimitrov. Des impacts environnementaux vérifiés grâce à un outil standardisé, l’analyse de cycle de vie (ACV).
Désormais, le laboratoire veut aller plus loin. « Nous ne voulons pas nous limiter à une seule exploitation du déchet d’une industrie, mais proposer toute une cascade de réutilisations[3]. » reprend Peggy Vauchel. Le laboratoire est en train de passer la pratique avec un gros projet sur le marc de café, que l’entreprise nordiste Gecco, connue jusqu’ici pour fabriquer du biocarburant avec de l’huile de friture, collectera dans les restaurants et les bars de la région.
Le cas des invendus
Éviter le gaspillage en exploitant les déchets de la production des aliments, c’est bien. Mais éviter que ces derniers ne soient jetés quand ils ne se vendent pas en temps et en heure, c’est encore mieux. À la fin des années 2000 et au début 2010, plusieurs reportages font prendre conscience au grand public que de très nombreux hypermarchés aspergent d’eau de javel leurs invendus alimentaires pour empêcher qu’ils ne soient récupérés. Mais en 2016, une loi finit par interdire ces pratiques.
Quelques années après, les images d’employés de magasin lacérant volontairement chaussures et vêtements, conduisent à étendre l’interdiction aux invendus non alimentaires en février 2020. Avec un impact vraisemblablement mitigé. Présentée comme une première mondiale, la loi française « ne fait que reprendre le cadre juridique européen de 2008, qui interdisait déjà ces pratiques. » explique Clémence Lepla, qui prépare une thèse sur le sujet au centre de recherche Droits et perspectives du droit (CRDP[4]). Le nouveau texte modifie peu les sanctions − des amendes essentiellement − qui restent peu dissuasives. « La médiatisation de ces pratiques a un effet bien plus dévastateur » observe-t-elle.
Le problème pour les entreprises est qu’elles font face à un certain flou juridique. « La notion d’invendu en elle-même n’est pas bien définie » reprend Clémence Lepla. C’est un produit qui n’est pas vendu dans un certain délai, qui diffère selon chacun. La jurisprudence est mince, et la réglementation pas très claire, même pour les juristes.
Ce qui n’empêche pas le cadre réglementaire, lui, d’évoluer rapidement. « Mais si l’Union européenne continue à légiférer en faveur d’une économie circulaire, elle risque de déplacer le problème ailleurs. » prévient Clémence Lepla, pointant l’existence de trafics où, sous couvert de recyclage /réemploi, des invendus sont achetés au rabais par des grossistes en Afrique ou en Asie, et finissent parfois, neufs, dans des décharges. « Il est vital que tous les pays aillent dans le même sens. »
Chamboulement du droit
Quant au droit français, il reste à la traîne. « Notre droit est en grande partie basé sur l’idée implicite qu’un bien est acheté et consom- mé par un seul utilisateur, alors que les usages, eux, sont en plein bouleversement ». Aujourd’hui, certains achètent à plusieurs une machine à laver, parce que seule une fraction de son usage les intéresse. Les produits qui changent de main, comme les smartphones reconditionnés, engendrent de nouvelles questions. Le reconditionneur peut-il se retourner contre le fabricant en cas de dysfonctionnements, par exemple ? Juridiquement, ce n’est pas clair.
D’où l’autre objectif de sa thèse, qui est de décortiquer le cycle de vie juridique du produit en fonction de sa phase d’utilisation. À quel cadre réglementaire il se rattache alors, quelles sont les responsabilités de chacun, quand prévoir certaines solutions par contrat, etc. « Beaucoup d’entreprises sont perdues, et n’arrivent pas à s’y retrouver. L’idée est d’arriver à un guide qui leur détaille tout cela. »
Se former à l’économie circulaire
Besoin de monter en compétences, ou simplement de rafraîchir ses connaissances ? L’Université de Lille et ses partenaires socio-économiques ont lancé une offre de formation continue sur l’économie circulaire, le programme Exist.
La recherche sur l’économie circulaire dans la région est structurée au sein de la dynamique « Pensée cycle de vie et nouveaux modèles économiques » (Cyme).
[1] (Univ. Lille / CNRS / Inrae / Centrale Lille I.)
[2] (Univ. Lille / Inrae / Liège Univ. /UPJV)
[3] En lien avec la nouvelle chaire industrielle Charles Viollette
[4] (Univ. Lille)
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