Soigner avec la lumière

© Pr. Serge Mordon - Inserm - Lille - France

C’est une technique encore peu connue : la thérapie photodynamique cible les cellules cancéreuses pour les détruire à l’aide de la lumière.

Traiter des cancers avec de la lumière ? Contre certains d’entre eux, une technique, la thérapie photodynamique, a déjà démontré son efficacité. Mais en fait, son action peut s’élargir à bien d’autres cancers, en menant une R&D poussée au plus près des besoins des cancérologues. C’est l’une des tâches à laquelle s’est attelé le laboratoire OncoThAI¹, en se focalisant, précise son directeur le professeur Serge Mordon, « sur les cancers en impasse thérapeutique ». Le principe : faire s’accumuler dans des cellules cancéreuses une substance appelée photosensibilisateur. Ensuite, éclairer la zone à traiter avec une lumière de longueur d’onde bien déterminée, ce qui déclenche une réaction impliquant le photosensibilisateur et l’oxygène. Celle-ci produit des substances toxiques qui détruisent la cellule cancéreuse.

Trouver le photosensibilisateur qui va s’accumuler préférentiellement dans les cellules cancéreuses dépend du type de tumeur. L’un de ceux qui sont le plus fréquemment utilisés, peut être produit à partir d’acide amino-lévulinique (5-ALA). Le 5-ALA est un médicament déjà autorisé en dermatologie, un avantage de taille quand « aujourd’hui, développer un médicament à partir d’une nouvelle molécule coûte parfois plusieurs centaines de millions d’euros », souligne Serge Mordon.

Mais cette approche a ses limites. Dans certains cancers, ces photosensibilisateurs ne ciblent pas assez spécifiquement les tumeurs. Ce qui expose à un risque, dans le cas des tumeurs de l’ovaire par exemple, car la zone traitée est proche d’organes vitaux. « C’est pourquoi nous travaillons avec une photochimiste de Nancy², Céline Frochot, sur un nouveau photosensibilisateur, indique Serge Mordon, qui cible beaucoup plus précisément ces tumeurs » en exploitant le fait que la membrane de leurs cellules contient un certain type de molécules en plus grande quantité (les récepteurs au folate).

Une application fréquente de la thérapie photodynamique concerne les lésions précancéreuses de la peau. Premier motif de consultation en dermatologie, les kératoses actiniques sont des lésions liées à l’exposition au soleil, qui apparaissent notamment sur les crânes des hommes chauves passé un certain âge, et peuvent évoluer en cancer dans 10 % des cas. Parce qu’une partie d’entre elles sont invisibles à l’œil nu, la thérapie photodynamique est l’outil de choix pour les traiter, en appliquant le médicament 5-ALA sous forme de crème. Seulement, cette technique était pour le moment très douloureuse.

© Pr. Serge Mordon - Inserm - Lille - FranceLa solution trouvée par le laboratoire : un bonnet lumineux, à base de fibres optiques, qui optimise et rend le traitement totalement indolore. Petite curiosité dans un laboratoire médical de pointe, ses membres n’hésitent pas en effet à tester des idées avec des imprimantes 3D et des machines à coudre. « Nous développons les projets de A à Z : modélisation de l’interaction de la lumière avec les tissus biologiques et des réactions photochimiques, mise au point des prototypes… jusqu’à la conception des essais cliniques. » explique Serge Mordon, pointant les « huit chefs ou cheffes de service du CHU » qui enracinent le laboratoire dans le terrain, tout comme les ingénieurs et techniciens, sans compter un accompagnement administratif vital : « un dossier d’analyse de risques, c’est 500 à 1 000 pages… ». Pour les tissus lumineux, le laboratoire collabore avec une entreprise lyonnaise spécialisée, Texinov. Des développements qui ne concernent pas que les cancers : un autre projet met actuellement au point un pyjama lumineux pour traiter la jaunisse du nourrisson, afin d’éviter de séparer celui-ci de ses parents.

Aiguilles transparentes

L’inconvénient avec la lumière, c’est qu’elle ne pénètre pas profondément, ne pouvant atteindre la tumeur si celle-ci n’est pas en surface. C’est le cas pour certaines lésions profondes des pré-cancers de la peau. C’est pourquoi le laboratoire a développé avec le CEA³ à Grenoble un patch de micro-aiguilles transparentes, longues de 0,4 à 0,75 millimètres, qui permettent de conduire la lumière jusqu’aux lésions. Ce premier prototype a demandé une R&D de plusieurs années : les aiguilles devaient être suffisamment minces pour que les patients ne sentent rien, mais suffisamment solides pour ne pas se déformer quand elles s’enfoncent.

Pour aller encore plus profondément, la solution est parfois d’amener la lumière jusqu’à la tumeur par une fibre optique. C’est le cas pour une tumeur du cerveau habituellement incurable, le glioblastome, qui est la troisième cause de décès par cancer chez le jeune adulte. Dans certaines situations, la tumeur est trop mal placée pour être retirée entièrement lors d’une opération, sans risquer d’endommager le cerveau. D’où l’intérêt d’introduire une fibre optique pour traiter les cellules cancéreuses restantes par thérapie photodynamique. Maximilien Vermandel, ex-membre du laboratoire vient de lancer une startup, Hemerion⁴, pour développer cette technique particulièrement prometteuse.

Réveiller le système immunitaire

Et si la thérapie photodynamique avait des vertus insoupçonnées ? C’est ce que se sont demandées les équipes d’OncoThAI après les résultats particulièrement prometteurs de plusieurs essais sur une maladie très meurtrière, le mésothéliome pleural malin − ou « cancer de l’amiante ». En complément d’autres traitements, la survie des patients est ainsi passée d’un peu plus d’un an en moyenne à environ trois ans et demi. « Un collègue de Philadelphie nous a dit : ce n’est pas possible, il doit y avoir autre chose. »
Cette autre chose est sans doute que la thérapie photodynamique tend à « rebooster » le système immunitaire. C’est une des raisons qui ont motivé le laboratoire à intégrer récemment une équipe de spécialistes du système immunitaire, celle de la professeure Nadira Delhem, pour lancer de vastes recherches fondamentales sur le sujet. « Pour éviter d’être repérée et éliminée par le système immunitaire, la tumeur en bloque les rouages grâce à des molécules qu’elle émet dans l’organisme − ce qu’on appelle des inhibiteurs de checkpoints. » Depuis peu, des équipes dans le monde entier commencent à en découvrir différents exemples (l’un d’eux couronné par le prix Nobel de médecine en 2018). Comprendre comment agir sur ces checkpoints avec la lumière, tel est l’enjeu de ces recherches à OncoThAI, qui pourraient permettre d’élargir la gamme de cancers où l’immunothérapie est efficace.

¹ (Univ. Lille / Inserm / CHU Lille)

² Laboratoire réactions et génie des procédés
(Univ. Lorraine / CNRS)

³ Laboratoire d'électronique et de technologie
de l'information (LETI)

www.hemerion.com,
soutenue par la fondation Université de Lille.