Professeure de marketing, Maud Herbert coordonne le montage d'une chaire sociétale interdisciplinaire sur l'économie circulaire dans le textile-habillement¹.
Pourquoi le besoin d'une mode durable ?
L'industrie du textile est le deuxième secteur le plus polluant au monde après celui du pétrole. Elle émet 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit davantage que les transports aérien et maritime. La production des vêtements a presque doublé au cours des 15 dernières années. Tout cela découle du modèle économique dominant dans la mode, la « fast-fashion » : des vêtements peu coûteux, imités des marques haut-de-gamme, renouvelés très rapidement. Ce modèle a façonné les modes de consommation actuels mais on assiste à sa fuite en avant, car le marché textile stagne voire décline : il a perdu 15 % de son chiffre d'affaire depuis douze ans.
L'intérêt pour une mode plus responsable gagne-t-il du terrain ?
On me dit souvent : la mode durable, oui mais c'est un marché de niche. Mais on disait ça du bio il y a dix ans ! Or plusieurs indices suggèrent que la consommation de textile est en train de muter. L'année dernière, près d'un Français sur deux a acheté un article de mode responsable (production locale ou occasion) et ils comptent le faire de plus en plus. Nous observons des consommateurs en crise basculer vers des formes de résistance au consumérisme ambiant, pour des raisons éthiques ou économiques. Ils se font de plus en plus entendre, en se regroupant via les réseaux sociaux notamment. Des initiatives entrepreneuriales se positionnent contre les modèles de consommation dominants, parfois lancées par d'anciens salariés de l'industrie textile qui vivent des crises analogues.
Comment la mode peut-elle être durable ?
L'écoconception qui permet de penser le produit au départ pour qu'il puisse être réincorporé. Éviter le mélange des fibres, par exemple, un casse-tête pour le recyclage. Mais la réponse n'est pas que technique : un vêtement a une histoire sociale qui fera que tôt ou tard, son propriétaire ne voudra plus le mettre, quand bien même il aurait été conçu pour tenir quinze ans !
L'un des enjeux est de prolonger l'utilisation du produit. Le marché de la seconde main explose. Au-delà du succès de la revente en ligne (Vinted), on assiste aussi à la revalorisation de la fripe. D'autres systèmes, comme la location, émergent mais cherchent encore leur modèle économique. Un élément très important que nous étudions, c'est l'entretien et la réparation des objets par les consommateurs, avec ou sans l'aide des marques. C'est le grand retour des couturières, des formations à la couture et à l'upcycling (surcyclage). L'objectif est d'offrir une seconde vie aux vêtements en les retaillant au goût du jour, en les transformant en d'autres objets textiles… Certaines entreprises commencent même à fournir les patrons de leurs vêtements.
Quels sont les ingrédients nécessaires pour qu'une initiative de mode durable réussisse ?
Un des points-clés, c'est la transparence. Par exemple, la marque alimentaire « C'est qui le patron » fixe les prix des futurs produits avec les consommateurs, en soumettant à leur vote différentes options en pointant l'effet sur la rémunération du producteur. Des initiatives similaires pourraient se réaliser dans la mode.
Un autre point-clé est que ces petites entreprises ont des visages, d'entrepreneuses et entrepreneurs souvent charismatiques, qui racontent une histoire. Le jean 1083 constitue depuis cinq ans une filière de production locale et de vente directe dans la Drôme, en reprenant récemment l'une des dernières filatures françaises. Il développe un « discours de l'intemporalité » en revenant au denim, la toile historique du blue jean, tout en cultivant sa propre identité (fil rouge sur les poches).
Le succès arrive car le consommateur investit le produit comme un engagement, et parce que ces marques trouvent le bon compromis entre recyclabilité, prix, confort et esthétique : leurs clients acceptent par exemple, qu'un jean sans élasthanne soit un peu moins souple, mais bien meilleur sur le plan écologique. C'est un subtil équilibre entre une vérité du produit, une fabrication transparente et un discours qui informe et accompagne.
Quelle est l'attitude des grands groupes textiles ?
Les prises de conscience en leur sein se multiplient, ce qui aboutit à quelques initiatives intéressantes... et d'autres illusoires, comme ces vêtements en « plastique des océans » issu en fait de fermes d'aquaculture. Dans nos recherches, nous observons parfois des pratiques douteuses mais aussi un manque d'expertise pour analyser réellement le cycle de vie des produits.
Parallèlement, la pression des consommateurs entraîne des décisions radicales. Les annonces récentes des gros acteurs comme H&M et Zara qui affirment passer à 100 % de fibres recyclées en 2030 voire 2022 nous interrogent sur leur faisabilité. Comment les consommateurs vont-ils réagir ? Car ici, on parle de produire mieux… mais pas forcément moins.
Pourquoi ce projet de chaire socio-industrielle ?
Justement, nous souhaitons accompagner ces transitions en étudiant toutes les stratégies de la filière du textile-habillement pour produire, distribuer et consommer mieux et moins. Nous travaillons depuis plusieurs années avec des ingénieurs de l'école nationale supérieure des arts et industries textiles (ENSAIT). Cette collaboration unique de 20 chercheurs possède déjà des expertises identifiées sur le textile et la consommation durable, nous avons noué des liens avec plusieurs entreprises et menons de nombreux entretiens avec des experts et consultants. Il est temps de nous structurer et d'augmenter l'impact de nos recherches sur la société.
Cette chaire a aussi pour ambition d'étudier comment l'économie circulaire peut modifier en profondeur les pratiques des industriels et des consommateurs. Le marché bouge vite, et il est très intéressant dans les Hauts-de-France, par la diversité de ses consommateurs, et ses multiples enjeux : de quelle manière conserver les savoir-faire, revitaliser le tissu industriel et poursuivre la dynamique de transition énergétique (3ᵉ révolution industrielle − rev3).
¹ Centre de recherche en marketing MERCUR du Lille school management research center (LSMRC, − Univ. Lille) et laboratoire de génie et matériaux textiles (GEMTEX − ENSAIT)