Primée au Brésil et en France, l'artiste Renata Andrade vient de s'inscrire en thèse à l'université.
Elle a quitté la ville immense, São Paulo, pour la France depuis trois ans. En 2016, alors comédienne professionnelle et scénographe pour une compagnie de théâtre, Renata Andrade voit se profiler le changement politique au Brésil après la destitution de la présidente Dilma Roussef, et la montée en puissance du futur président d'extrême-droite Jair Bolsonaro. Anticipant la chute drastique des subventions à la culture, dont dépend sa compagnie, elle décide avec son mari français de s'installer à Brest. L'arrivée dans la petite ville bretonne, le froid, le ciel gris, n'est pas simple. « J'avais appris le français avec des Québecois juste avant de partir : au début, personne ne comprenait mes expressions ! » s'amuse-t-elle. Pendant que son mari passe le Capes, elle cherche une université. « En fait, je n'ai jamais arrêté d'étudier… » Au Brésil, elle avait commencé par apprendre la comptabilité, puis après avoir débuté le théâtre, elle boucle une licence d'arts scéniques. « Dans notre compagnie, nous avons commencé à utiliser des objets du quotidien (mousse isolante de chantier, etc.) et à leur donner vie sur scène, un peu comme des marionnettes. C'est là que j'ai compris que j'aimais fabriquer des choses. » Elle poursuit donc un cursus d'arts visuels. C'est ainsi que débute sa carrière de plasticienne.
À l'arrivée en France, elle n'arrête donc pas sa fringuale d'études, et s'inscrit en master… à près de 800 kilomètres, à l'université de Pau. Une paille pour celle qui est habituée aux longs trajets du gigantesque Brésil. À Pau, elle tombe sur le livre d'une enseignante-chercheuse de l'Université de Lille, Anne Creissels, sur le féminin, l'art contemporain et les mythes. Passionnée par le sujet, elle lui écrit. Celle-ci lui répond : « Venez à Lille ! » Ni une ni deux, Renata Andrade s'y inscrit et passe brillamment son master. « C'est une étudiante comme il y en a peu, raconte Anne Creissels. Durant son master, elle a lu tout ce qu'il était possible de lire, et elle s'est saisie de toutes les opportunités : exposition collective, workshop, interventions. À la fin de l'année, nous avions l'impression de très bien la connaître. » Dans la ville du Nord, Renata Andrade est dans son élément. « Lille est vraiment très dynamique au niveau culturel, indique celle-ci. Il y a tout le temps de nouvelles choses, de nouveaux lieux qui ouvrent. Et l'Europe est si proche, avec toutes ses langues différentes ! »
Parallèlement, son itinéraire de plasticienne s'est infléchi. « Au départ, j'étais vraiment plutôt dans le matériel, avec beaucoup de gravures et de sculptures. Mais aujourd'hui je suis plus conceptuelle : peu importe le médium, s'il me permet de dire ce que je veux dire », n'hésitant pas à utiliser la vidéo, la photo ou réaliser des performances, qui l'intéressaient peu auparavant. « Peut-être aussi que je suis plus claire dans ma tête pour exprimer ces choses qui m'angoissent et qui m'interrogent. » Comme de savoir ce que c'est que le féminin, que d'être une femme. « Pourquoi quand je cherchais du travail au Brésil, on me renvoyait tout le temps au fait d'être ou pas jolie, voire simplement d'être une femme ? À l'époque, je voulais qu'on dise que j'étais acteur et pas actrice, mais ce n'est pas neutre non plus. »
Dans une toute récente exposition simultanée à Dalian en Chine et à Sciences Po Lille, la vidéo qu'elle présente ne laisse pas indifférent. « Je suis cadrée des épaules au nez, et une main d'homme me donne à manger des bouchées de camembert. Et à la fin, je vomis. » Devant l'air médusé de son interlocuteur, elle éclate de rire. « Je n'en peux plus du camembert ! On m'en a trop proposé… En fait, depuis que je suis en France, j'ai découvert que j'étais brésilienne : on me renvoie tout le temps à ma nationalité, alors que je n'y pensais pas un instant quand j'étais au Brésil. Peu à peu, je suis poussée à jouer ce jeu-là et cela teinte mon travail. » Cette œuvre intitulée « Déclaration d'amour » reflète les bonnes intentions de Français, cherchant à l'initier à toute force aux fondamentaux de la gastronomie hexagonale, sans mesurer la puissance du choc culturel. « Bien sûr que cela heurte certains spectateurs. Mais c'est comme cela que beaucoup ont réussi à se mettre à ma place, à ressentir à travers ce haut-le-cœur qu'on ne change pas comme ça ses propres codes culturels. »
L'œuvre fait aussi écho au distinguo de Claude Lévi-Strauss dans son livre Tristes tropiques, opposant les peuples anthropophages, qui absorbent les êtres redoutables pour les neutraliser, aux sociétés occidentales, qui ont au contraire tendance à les exclure. Ce que l'anthropologue français appelle anthropémie d'après le mot grec signifant vomir… Un sujet au cœur des réflexions de Renata Andrade, qui vient de commencer une thèse avec Anne Creissels, pour analyser l'intérêt marqué de plusieurs générations d'artistes femmes pour le cannibalisme, comme la Brésilienne Lygia Clark. Pourquoi une thèse ? « Pour mettre plus de densité dans mon travail d'artiste… et tenter de répondre à mes nombreuses questions ! »
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