Une électronique de la lumière

CNRS/C2N

La lumière remplacera-t-elle l’électricité dans les circuits imprimés ? C’est l’un des enjeux d’une science en plein essor, sur lequel porte le projet européen EmergenTopo.

Aujourd’hui, la vitesse avec laquelle un micro-processeur peut manipuler des données informatiques tend à plafonner. Pour aller plus loin, de nombreux laboratoires travaillent à inventer une électronique totalement nouvelle qui n’utilise plus l’électricité mais la lumière. En découlent des défis scientifiques majeurs, dont le projet EmergenTopo explore des pistes inédites et très prometteuses.

Le problème des circuits à base de lumière est de les miniaturiser. Car sur des puces de taille inférieure au millimètre, ils ont des fuites : dès que la lumière doit faire des virages très serrés, elle a tendance à se réfléchir fortement, perdant une grande partie de son intensité. Des réflexions parasites peuvent également se produire en ligne droite, un retour à l’envoyeur qui perturbe le laser à l’origine de la lumière.

La révolution topologique

Mais depuis les années 2000, des phénomènes qui semblaient jusque-là plutôt exotiques, liés à une branche des mathématiques appelée topologie, sont venus bousculer les certitudes scientifiques. Depuis, le volume d’articles publiés dans le domaine, couronné par un prix Nobel en 2016, n’en finit plus de croître. L’enjeu, ni plus ni moins, est d’obtenir des courants extrêmement efficaces, car protégés des fuites et imperfections par ces propriétés « topologiques ». D’abord explorées pour le courant électrique classique, elles se sont assez vite étendues au transport de la lumière.

L’ingrédient principal, c’est un bord : une interface avec un autre matériau, qui peut être tout simplement l’air. Pour le reste, il y a eu surtout deux voies explorées. Celle de sculpter la matière avec des motifs réguliers comme des hexagones − les « cristaux photoniques » − avec l’inconvénient qu’on ne peut pas modifier les propriétés du matériau après sa fabrication. L’autre voie utilise un champ magnétique, là aussi difficile à miniaturiser et à contrôler.

L’une des nouvelles pistes explorées par EmergenTopo permet d’allumer le courant à la demande, par laser. C’est un effet qui est appelé « non-linéaire » en physique. À basse intensité, il ne se passe rien. Puis il y a une sorte de seuil au-delà duquel le courant de lumière apparaît.

« Des théoriciens ont prédit ce phénomène en 2015, mais ce n’est que maintenant que nous allons pouvoir le mettre en évidence, explique Alberto Amo, du laboratoire de physique des lasers, atomes et molécules (Phlam¹), qui coordonne le projet, grâce à des semi-conducteurs d’une qualité exceptionnelle », fruits d’une collaboration au long cours avec l’équipe de Jacqueline Bloch au centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N²).

L’autre voie est plus exploratoire. Ouverte avec Pierre Suret et Stéphane Randoux, également du Phlam, elle utilise un système de fibres optiques « couplées ». Il s’agit, en perturbant régulièrement un système optique − « par exemple en faisant varier la vitesse d’impulsions lumineuses tournant dans un anneau de fibres optiques » − de créer là aussi un courant très efficace. Deux pistes à suivre, donc, pour ce projet prévu jusqu’en 2025.

 

¹ (Univ. Lille / CNRS)

² (Univ. Paris-Saclay / CNRS)