La chimiste Sabine Szunerits¹ coordonne deux projets de tests de diagnostic rapide d’infections virales comme le SARS-CoV-2.
Pourquoi avons-nous besoin d’outils de diagnostic rapide ?
Pour savoir précisément quand nous sommes contagieux. Prenons le diagnostic du SARS-CoV-2, par exemple. Aujourd’hui, les tests les plus courants sont les tests RT-PCR. Ils détectent le matériel génétique du virus, même en très petite quantité. Cela dit que le virus est ou a été dans notre corps. Cela ne dit pas si nous risquons réellement d’infecter ceux que nous croisons. En outre, le résultat du test PCR n’est souvent donné qu’en 48h. Comment savoir si nous devons nous isoler immédiatement ? Comment prendre une décision en situation d’urgence, comme une opération chirurgicale ? Pour savoir si nous sommes à risque d’infecter, il faut déterminer si le virus en lui-même, c’est-à-dire les « particules virales » qu’on porte, sont entières et ont toujours la capacité de s’introduire dans les cellules pour s’y multiplier. Pour cela, il faut détecter les protéines qui leur servent de clé, ces « pointes » ou « têtes de clou » appelées spicules qui hérissent la surface du virus. C’est ce que font les tests que nous développons, grâce à des anticorps artificiels, choisis pour « s’accrocher » à ces pointes.
Comment avez-vous lancé ce projet ?
Nous prônons fréquemment l’interdisciplinarité entre biologistes, chimistes et physiciens. La réalité, c’est que bien peu de ces recherches passent la porte des laboratoires pour parvenir aux patients. Pour cela, il faut des études cliniques, et donc des médecins. Moi, j’ai eu la chance de rencontrer David Devos, neurologue au CHU Lille et professeur en pharmacologie à l’université, lors d’un colloque à Taïwan en novembre 2019. Nous devions nous revoir, mais le rendez-vous tombait au début du premier confinement : le contexte nous a décidé à déposer un projet pour développer un diagnostic rapide du Covid-19. Grâce à son enthousiasme, nous avons pu constituer en quelques semaines un réseau à l’hôpital autour de ce projet, et tout s’est enchaîné.
Quels sont les avantages du dispositif que vous développez ?
Notre but est un test beaucoup plus sensible que les tests antigéniques actuels, avec des performances si possible analogues à celles des tests RT-PCR. Pour cela, le test devra rendre sa réponse même si l’échantillon ne contient qu’une centaine de virus par millilitre. Il donnera son résultat en dix à vingt minutes, avec un encombrement réduit.
Comment fonctionnent ces tests ?
Les anticorps artificiels chargés de détecter les pointes du virus sont fixés sur une surface. Quand un virus passe à proximité, il s’y accroche. Pour détecter que l’accrochage s’est produit, nous avons suivi deux directions. La première le détecte grâce à un courant, c’est ce qu’on appelle l’électrochimie. L’énorme avantage, c’est qu’elle est basée sur de l’électronique facilement miniaturisable : l’échantillon est placé sur de petites électrodes souples, peu coûteuses et connectées à une puce, elle-même branchée sur un téléphone portable. Avec un échantillon de sa salive, le patient peut se diagnostiquer lui-même, et le résultat envoyé automatiquement au médecin. Ce qui sera très utile, par exemple, pour les dépistages massifs qui demandent une mobilisation très importante de personnels de santé.
Quel est le second projet ?
Il repose sur une détection optique. On accroche les anticorps artificiels sur une petite lame en or, qu’on éclaire avec un laser. Dès qu’un virus s’accroche sur l’anticorps artificiel, il est détecté car la lumière ne se réfléchit pas avec le même angle. Cela s’appelle la résonance plasmonique de surface, du nom des ondes à l’origine du phénomène. Contrairement au premier système, il requiert une manipulation par un personnel de santé. Mais en revanche, il permet de réaliser huit diagnostics en parallèle, un gain de temps considérable.
Ce second projet, Cordial-S², implique plusieurs partenaires dans le monde. Comment vous répartissez-vous les rôles ?
Un laboratoire marseillais³ synthétise les minuscules anticorps artificiels (d’environ 4 nanomètres). Nous nous occupons de fixer ces derniers sur la surface. Une société irlandaise, Magnostics, produit de très petites billes magnétiques pour concentrer le virus dans l’échantillon : nous fixons les anticorps artificiels sur ces billes, qui peuvent ainsi collecter près d’une centaine de virus. De cette manière, en utilisant un champ magnétique, nous pouvons isoler le virus, et ainsi le concentrer. C’est important pour améliorer l’efficacité du diagnostic, notamment dans des milieux complexes comme la salive, qui contiennent de nombreuses molécules qui pourraient gêner la détection.
C’est une entreprise israélienne, Photonic Sys, qui fabrique le système de détection optique. Il fait une vingtaine de centimètres de large, ce qui lui permet d’être installé dans des espaces réduits comme une ambulance. Enfin, le CHU Lille élabore les études cliniques pour évaluer le test avec des patients.
Quand pensez-vous aboutir ?
Nous visons l’obtention d’un prototype de Cordial-S d’ici à la fin 2021. C’est un investissement de long terme, nous ne créons pas ce test que pour le SARS-CoV-2 : il suffit de remplacer l’anticorps artificiel par un autre objet nanométrique (nanobody) pour détecter d’autres maladies. Nous travaillons, d’ores et déjà, sur la grippe et les nanofilaments fréquents dans les maladies neurodégénératives comme Alzheimer, dans le cadre d’une entreprise en création⁴.
¹ Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie
(IEMN − Univ. Lille / CNRS / Centrale Lille / Univ. polytechnique Hauts-de-France / Junia).
² Coronavirus Diagnostic via Surface Plasmon Resonance (Cordial-S)
³ Architecture et fonction des macromolécules biologiques (AFMB – Aix-Marseille Univ. / CNRS)
⁴ www.eurasante.com/entreprises/cordial-it/
Cordial-IT est maturée dans deux sociétés d’accélération du transfert de technologie
(Satt Nord et Sud-Est).